Joint Submission to the UN Committee on Migrant Workers: Algeria

 

Algérie: Problèmes Liés Á La Détention Des Migrants

Information à destination du Comité des travailleurs migrants (CMW)

28ème Session (9-20 avril 2018)

Genève, mars 2018

Le Global Detention Project (GDP) et le Collectif Loujna Tounkaranké apprécient l’occasion qui leur est offerte de fournir des informations en amont de l’examen du deuxième rapport périodique de l’Algérie (CMW/X/DZA/2) sur la mise en œuvre de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (la Convention), ratifiée par l’Algérie en 2005.

Cette communication conjointe se concentre sur les lois et les pratiques de l’Algérie relatives à la détention liée au statut migratoire.

Le GDP est un centre de recherche indépendant basé à Genève qui étudie les lois et les pratiques en matière de détention liée au statut migratoire.  Son champ d’étude couvre le monde entier.  Le GDP a pour but de: 1) fournir aux chercheurs, défenseurs et journalistes des données mesurables et régulièrement mises à jour pour l’analyse de l’augmentaiton et de l’évolution des pratiques et des politiques de détention; 2) favoriser la reddition des comptes et la transparence dans le traitement des détenus; 3) encourager la recherche dans ce domaine d’étude sur l’immigration et les réfugiés.

Le Collectif Loujna Tounkaranké réunit des associations d’Algérie, de Côte d’Ivoire, de France, du Mali, du Maroc, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal et de la Tunisie, Le collectif présente la particularité de réunir à la fois des associations de défense des droits humains et des associations d’assistance aux migrant.e.s  au sein d’un même pays et seize associations de neuf pays différents. Loujna signifie « comité » en arabe et Tounkaranké signifie « migrant », « aventurier » en soninké, une langue régionale d’Afrique de l’Ouest.

En mars 2017, le GDP a soumis des  informations pour aider le Comité à identifier les questions centrales à traiter pour la liste de questions avant la présentation du rapport de l’Algérie devant le Comité.[1]

 

Contexte

Bien que de nombreuses sources fassent état de la présence, de l’arrestation, de la détention, de vagues d’expulsion massives, et de la discrimination de migrants et de réfugiés sub-sahariens en Algérie,[2] le deuxième rapport périodique de l’Algérie ne fait pas état de leur présence.  En revanche, il précise au paragraphe 22 : « Il y a lieu de noter que la majorité des travailleurs étrangers en situation irrégulière sont de nationalité chinoise (46,16 %), turque (11,14 %) et égyptienne (2,02 %) ».  Il est simplement fait référence au paragraphe 329 – qui traite de l’assistance aux familles en matière de santé et d’hébergement au : « recensement des familles et personnes migrantes provenant surtout des pays subsahariens et de Syrie ».

 

Article 7 (Non-discrimination)

L’Algérie fait état de la présence « majoritaire » de travailleurs migrants en situation irrégulière de nationalité chinoise, turque et égyptienne. Selon l’Article 7 les Etats parties à la Convention s’engagent à respecter et garantir les droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille : « sans distinction aucune, notamment de sexe, de race, de couleur, de langue, de religion ou de conviction, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale, ethnique ou sociale, de nationalité, d’âge, de situation économique, de fortune, de situation matrimoniale, de naissance ou de toute autre situation. »

Questions : 

  • Ces ressortissants étrangers de nationalité chinoise, turque et égyptienne font-ils l’objet d’expulsion collective, comme les migrants sub-sahariens ?
  • Si oui ces ressortissants sont-ils mis en détention dans le cadre de ces expulsions ? Quel est le cadre légal pour ces expulsions et quelles protections sont mises en œuvre pour éviter les détentions arbitraires ?
  • Dans le cas contraire comment les autorités justifient-elles que la protection contre les expulsions collectives et la détention arbitraire ne s’étende pas à tous les ressortissants étrangers au regard des clauses de non-discrimination de la Convention ?

 

Articles 16 et 17 de la Convention (Droit à la liberté et la sécurité et protection contre les arrestations et la détention arbitraire)

Dans le deuxième rapport périodique de l’Algérie, les autorités n’ont pas fourni de réponse aux observations formulées par le Comité le 19 mai 2010 concernant la détention des migrants (CMW/C/DZA/CO/1), à savoir :

« 27. Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que la détention des travailleurs migrants en situation irrégulière soit considérée uniquement comme une mesure de dernier ressort et à ce que, en toutes circonstances, la détention soit appliquée conformément aux articles 16 et 17 de la Convention. »

La Loi n° 08-11 du 21 Joumada Ethania 1429 correspondant au 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie, à l’Article 36 (placement en centres d’attente) et à l’Article 37 semble indiquer qu’il existe une forme de détention administrative qui peut être ordonnée par les wali (autorités locales) pour une durée maximale de 30 jours, renouvelables, dans l’attente d’une escorte à la frontière ou du renvoi vers le pays d’origine.

Dans la liste des points concernant le deuxième rapport périodique de l’Algérie publiée par le Comité le 17 mai 2017 (CMW/C/DZA/Q/2), le Comité a requis « des informations, ventilées par sexe, âge et nationalité, sur le nombre de travailleurs migrants en situation régulière et irrégulière qui ont été placés en rétention administrative ou en détention judiciaire dans l’État partie depuis 2010 » ainsi que sur l’accès à un interprète pendant la détention et sur les conditions de détention.  Le Comité a également demandé : « si des enfants peuvent être pénalement poursuivis et détenus pour des faits de migration irrégulière et s’il existe des mesures de substitution, en droit et en pratique, à leur détention, y compris pour les enfants non accompagnés et les familles avec enfants. Dans les cas où ces mesures de substitution ne sont pas appliquées, fournir des informations sur les motifs et les conditions de détention, en précisant si les enfants sont séparés des adultes, ainsi que sur les mesures prises pour veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit pleinement pris en compte. »

Dans ses réponses au Comité (CMW/C/DZA/Q/2/Add.1, § 47-49)[3] l’Algérie a indiqué : « §47 : Il n’existe pas de centres de rétention de migrants en Algérie. Les seuls centres servent d’accueil aux migrants irréguliers identifiés par leurs autorités consulaires et qui font l’objet de reconduite à la frontière avec l’accord de leurs gouvernements respectifs et avec l’assistance technique de l’Organisation Internationale pour la Migration et le Haut-Commissariat aux Réfugiés.

  1. Avant leur rapatriement, les migrants sont sujets à une visite médicale et bénéficient d’un pack retour comprenant entre autre des rations alimentaires. Toutes ces opérations se déroulent en présence de la presse et d’observateurs neutres et sont transportés au frais de l’État algérien.
  2. Depuis décembre 2014, presque 20 000 personnes de différentes nationalités ont été remises à leurs autorités consulaires. Les personnes sous le mandat de protection du HCR sont exclues de rapatriement en raison de troubles ou de guerre dans leurs pays respectifs, ainsi que les femmes enceintes et les mineurs non accompagnés. »

Selon Médecins du monde et des dizaines d’ONG nationales, régionales et internationales, après les expulsions massives de septembre et octobre 2017, à la veille de l’examen du rapport de l’Algérie devant le Comité, les interpellations de « Nigériens, Maliens, Ivoiriens, Camerounais, Libériens et Guinéens ont repris, séparant parfois les familles, et isolant les mineurs ».  Selon ces ONG : « Des centaines de migrants subsahariens, dont des femmes enceintes et des enfants, ont été transférés au centre de rétention de Zeralda le 10 février puis transportés le 13 février en bus vers Tamanrasset puis en camion, le 14 février à la frontière avec le Niger. Ils ont été ensuite contraints d’atteindre à pied, en plein désert, la ville de Assamaka, le premier centre urbain au Niger ».[4] Plus récemment, le 11 et 12 mars 2018 « plus de 280 personnes ont été arrêtées, dont 12 enfants ».[5]

Questions :

  • Qui gère les centres de Zeralda et Tamanrasset ?
  • Dans quelles conditions sont détenus les migrants et demandeurs d’asile aux centres de Zeralda et de Tamanrasset ?
  • Combien de temps les personnes sont-elles détenues ?
  • A quelles garanties de procédures prévues dans la Convention les personnes détenues ont-elles accès ?
  • Les enfants sont-ils détenus ?[6]
  • Les organisations de défense des droits humains, et notamment des droits des migrants, ont-elles accès aux centres de Zeralda et Tamanrasset ? y compris la société civile et la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme.[7]
  • Le Haut-Commissariat aux réfugiés a-t-il accès aux personnes détenues pour déterminer s’il s’y trouve des demandeurs d’asile et des réfugiés ?
  • Quel est le rôle de l’Organisation internationale des migrations dans le cadre de ces détentions ?

 

Articles 22 et 23 (Interdiction des expulsions collectives et protection en cas d’atteinte aux droits reconnus par la Convention)

Dans le cadre du contexte d’expulsions massives attestées ci-dessus, la délégation algérienne au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a déclaré en novembre 2017 que l’Algérie « privilégie le retour volontaire des migrants irréguliers dans leur pays d’origine. En raison d’atteintes répétées à l’ordre public et de graves violations commises par des migrants irréguliers dans plusieurs régions, elle a, en coopération avec des organismes des Nations Unies et avec les pays d’origine, renvoyé dans leur pays des migrants qui se livraient à la mendicité, opération qui lui a coûté plus de 20 millions de dollars des États−Unis. Elle tolère cependant la présence des migrants en situation irrégulière qui se conforment à la loi. »[8]

L’Article 59 de la Constitution algérienne de mars 2016 interdit les arrestations arbitraires : « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les conditions déterminées par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites.  La détention provisoire est une mesure exceptionnelle dont les motifs, la durée et les conditions de prorogation sont définies par la loi. La loi punit les actes et les faits d’arrestation arbitraire ».

Questions

Selon les clauses de l’Article 22.1 de la Convention :

  • Combien de migrants subsahariens ont opté pour le retour volontaire depuis 2016 ?
  • Les personnes arrêtées depuis 2016 ont-elles fait l’objet d’un examen de leur cas sur une base individuelle ?
  • Quelle autorité a pris la décision d’expulsion? et le cas échéant ,de détention ?
  • Les décisions ont-elles été notifiés aux personnes arrêtées dans une langue qu’ils comprennent ?
  • Ont-ils pu faire appel de la décision d’expulsion ?

 

Sixième Partie [de la Convention] : Promotion de conditions saines, équitables, dignes et légales en ce qui concerne les migrations internationales des travailleurs migrants et des membres de leur famille

Selon l’Article 67 de la Convention : « 1. Les Etats parties intéressés coopèrent en tant que de besoin en vue d’adopter des mesures relatives à la bonne organisation du retour des travailleurs migrants et des membres de leur famille dans l’Etat d’origine, lorsqu’ils décident d’y retourner ou que leur permis de séjour ou d’emploi vient à expiration ou lorsqu’ils se trouvent en situation irrégulière dans l’Etat d’emploi.»

Selon les réponses de l’Algérie à la liste de questions posées par le Comité : « §50. Il ne s’agit pas d’expulsion collective, mais bien d’opérations de rapatriement volontaire, menées par les autorités algériennes, avec l’assistance de l’OIM, s’inscrivant dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale conclu en 2014 avec le gouvernement du Niger, menées dans le respect de la dignité humaine et de procédures régulières. […] 54. Décidée en tant que mesure de dernier recours, l’opération de rapatriement de 989 ressortissants subsahariens intervenue début décembre 2016, a été mise en œuvre par les autorités compétentes consécutivement aux atteintes récurrentes à l’ordre public et aux dépassements graves commis par des migrants irréguliers dans plusieurs régions du pays. Les ressortissants concernés, originaires de 14 pays africains, qui devaient être relâchés après identification, ont exprimé le vœu pour la majorité d’entre eux, de regagner volontairement leurs pays d’origine, en transitant par le Niger. »

Questions

  • Quelle institution s’est chargée d’acheminer les ressortissants des 14 pays africains mentionnés ci-dessus et quelles garanties ont-elles été obtenues afin d’assurer qu’elles ne seraient pas mises en détention à leur arrivée au Niger ?
  • Selon quelles modalités les autorités des pays d’origine des migrants qui font l’objet d’expulsion collective sont-elles invités à coopérer ?
  • Quel est le rôle et la participation de l’Organisation internationale des migrations (évoquées dans les réponses de l’Algérie) ?

 

Questions annexes

Selon Médecins du Monde, des dizaines de milliers de migrants en transit se rendent sur les côtes algériennes, où ils sont souvent obligés de vivre pendant des années en attendant des occasions de traverser pour rejoindre l’Europe.[9]

En vertu de la loi algérienne, les ressortissants ainsi que les étrangers voyageant à destination et en provenance de la Libye qui tentent de traverser la Méditerranée peuvent être sanctionnés pour sortie “illicite” de l’Algérie. [10]Selon le CMW, l’entrée ou la sortie irrégulière ne devrait pas être criminalisée. [11]

Questions

  • Quelle est la situation des migrants en transit sur les côtes algériennes ? et sont-ils sanctionnés pour « sortie illicite » de l’Algérie ?

 

Contact Information

Global Detention Project                        Le Collectif Loujna Tounkaranké  

admin@globaldetentionproject.org           loujna.tounkaranke@gmail.com

www.globaldetentionproject.org               Facebook: Loujna Tounkaranké

 

[1] Global Detention Project Submission to the UN Committee on Migrant Workers (CMW) 26th Session (3-13 April 2017), Algeria, Geneva, March 2017, https://www.globaldetentionproject.org/submission-to-the-un-committee-on-migrant-workers-algeria and http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/SessionDetails1.aspx?SessionID=1193&Lang=en

[2] Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), Observations finales concernant le rapport de l’Algérie valant vingtième et vingt et unième rapports périodiques, CERD/C/DZA/CO/20-11, 21 décembre 2017, http://bit.ly/2GwlwqZ ; et FIDH et Loujna Tounkaranké, « Algérie : La chasse aux migrants et aux réfugiés doit cesser », 17 Octobre 2017, https://www.fidh.org/fr/themes/droits-des-migrants/algerie-la-chasse-aux-migrants-et-refugies-doit-cesser

[3]http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/SessionDetails1.aspx?SessionID=1193&Lang=en

[4] Médecins du monde et al., « Algérie : les migrants subsahariens expulsés vers le désert nigérien, 23 février 2018, http://bit.ly/2FJNL4f

[5] EuroMed Droits et al, « Algérie : Recrudescence des rafles des personnes migrantes subsahariennes », 16 mars 2018, http://bit.ly/2FLizBS

[6] Observation générale conjointe no 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 23 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour*, CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23, 16 novembre 2018,  « la détention d’un enfant et de sa famille pour des motifs d’immigration devrait être interdite par la loi et son abolition garantie dans les politiques et dans la pratique »,

[7] Ordonnance n 09-04 du 6 Ramadhan 1430 correspondant au 27 août 2009 relative  la commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de Homme, Article 1er,  « sans préjudice des attributions conférées aux autorités administratives et judiciaires, elle est chargée d’examiner toute situation d’atteinte aux droits de l’Homme constatée ou portée  sa connaissance et d’entreprendre toute action appropriée en la matière en concertation et en coordination avec les autorités compétentes », http://bit.ly/2FG6GBf

[8] CERD, Quatre-vingt-quatorzième session Compte rendu analytique de la2590e séance, CERD/C/SR.2590, 28 novembre 2017, http://bit.ly/2FFlnEH

[9] Médecins du Monde, Algérie, http://www.medecinsdumonde.org/en/node/6857

[10] Algeria – Impunity Past and Present Amnesty International Submission for The UN Universal Periodic Review 27th Session of The UPR Working Group, May 2017 Published September 2016, https://www.amnesty.org/download/Documents/MDE2854682016ENGLISH.pdf

[11] CMW, General Comment No. 2 on the Rights of Migrant Workers in an Irregular Situation and Members of their Families, 2013, http://www2.ohchr.org/english/bodies/cmw/cmw_migrant_domestic_workers.htm