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Cas particulier des personnes non admises à la frontière franco-italienne (from the report of the European Committee for thr Prevention of Torture 2018 visit to France)

Cas particulier des personnes non admises à la frontière franco-italienne (Read full CPT report)

94. Afin de comprendre la situation des personnes déclarées non-admises sur le territoire
français à la frontière franco-italienne, la délégation s’est rendue à Menton. Elle a d’abord observé
le déroulement de plusieurs interpellations effectuées en gare de Menton-Garavan avant de se
rendre au poste-frontière de Menton-Pont-Saint-Louis, où les policiers procédaient à l’examen de la
situation des personnes interpelées. A l’issue de la procédure, les personnes déclarées non-admises
étaient remises aux autorités italiennes, distantes de quelques centaines de mètres. La durée de la
garde au poste-frontière français, et de la privation de liberté effective des étrangers, dépendait donc
du temps nécessaire à accomplir les démarches et de la disponibilité des effectifs, français comme
italiens.47 En 2018, 23 695 personnes ont été déclarées non-admises à Menton-Pont-Saint-Louis.

95. A Menton-Pont-Saint-Louis, les locaux où étaient gardées les personnes étrangères étaient
constitués d’une zone d’accueil qui tenait lieu de bureau d’audition et de deux zones de « mise à
l’abri ». La zone réservée aux hommes seuls consistait en trois structures préfabriquées installées
en U autour d’une cour recouverte d’un filet anti-évasion. Ces bâtiments, d’une trentaine de mètres
carré chacun, étaient entièrement vides, sans aucun mobilier, et présentaient de nombreux signes de
dégradations (vitres de fenêtres manquantes ou cassées, plafonniers détruits, fils électriques
dénudés, certaines portes d’entrée pliées et présentant des arrêtes tranchantes et coupantes). Les
bâtiments n’étaient pas chauffés (les unités de climatisation réversible avaient manifestement été
arrachées). Un point d’eau et trois toilettes chimiques se trouvaient dans la cour. Les cabines de
toilettes, dont les évacuations étaient bouchées, dégageaient une odeur pestilentielle et le sol de la
cour était jonché de détritus.

Les femmes, les familles et les enfants étaient orientés vers une salle d’attente attenante à la
zone de réception. Cette salle était chauffée mais équipée uniquement de bancs. Les sanitaires
attenants étaient dans un état déplorable et l’évacuation était bouchée.

96. La délégation a estimé que les conditions matérielles de séjour dans ces locaux pouvaient porter atteinte à la dignité des personnes qui y étaient placées. En vertu de l’article 8, paragraphe 5, de la Convention, elle a formulé sur ce point une observation surlechamp et demandé aux autorités françaises de i) mettre immédiatement fin à la garde des personnes nonadmises au sein des préfabriqués (bâtiments modulaires) de MentonPontSaintLouis, en leur état actuel, et ii) de limiter la durée de la garde en salle d’attente à quelques heures, et en aucun cas de faire passer la nuit à des personnes dans cette salle.

97. Dans leur courrier du 17 janvier 2019, les autorités françaises ont fait savoir que, dès le lendemain de la visite de la délégation, les démarches nécessaires avaient été entreprises afin de diligenter, dans les plus brefs délais, des travaux d’amélioration de l’accueil des personnes maintenues dans ces locaux. Ainsi, la réalisation de plusieurs aménagements avait été décidée, à savoir : l’ajout d’une journée de nettoyage afin que le ménage soit effectué sept jours sur sept ; l’installation de bancs métalliques afin de permettre à 60 personnes de s’assoir simultanément ; la mise en place d’un système mixte de chauffage et de climatisation installé en module extérieur aux bâtiments, avec un dispositif de diffusion des souffleries dans les locaux d’accueil. Par courrier du 1er février 2019, les autorités françaises ont informé le Comité que les travaux annoncés avaient été réalisés. Le CPT prend note des premières mesures prises par les autorités françaises pour répondre à l’urgence de la situation et souhaite recevoir des informations actualisées concernant les réparations et aménagements effectués et planifiés.

98. Les autorités ont également précisé que la durée de garde dans les locaux « de mise à l’abri » n’avait pas vocation à dépasser quelques heures. Selon elles, toutefois, il se pouvait que lorsque des personnes étrangères s’étaient présentées en début de nuit à la frontière, certaines aient pu y être gardées jusqu’au lever du jour. Il est ressorti de la consultation des registres mis à disposition de la délégation qu’en effet, en journée, les personnes étrangères maintenues ne passaient en général pas plus d’une ou deux heures au poste frontière. En revanche, les personnes qui arrivaient après 19h30 (heure de fermeture du poste frontière italien) et n’étaient pas libérées après vérification, passaient la nuit sur place, généralement jusqu’à 8h30 ou 9h00 le lendemain. D’après les registres, il ne s’agissait pas d’une situation exceptionnelle.

Par courrier du 1er février 2019, les autorités françaises ont signalé que les autorités
italiennes étaient dorénavant plus promptes (de jour comme de nuit) à reprendre en charge les
personnes étrangères en situation irrégulière. De ce fait, les passages étaient moins longs dans les
locaux de mise à l’abri du poste de Menton-Pont-Saint-Louis.
Le Comité souhaite recevoir des informations supplémentaires quant aux modalités
actuelles de remise aux autorités italiennes des personnes non-admises entre 19h30 et 9h00, et
leur incidence sur le nombre de personnes gardées pendant la nuit depuis le 1er janvier 2019.

99. Selon les autorités françaises, les mineurs non-accompagnés ne faisaient plus l’objet de
décisions de non-admission (et donc d’un renvoi en Italie). Ils étaient confiés aux services de l’aide
sociale à l’enfance (ASE)49. La consultation du registre au poste de Menton-Pont-Saint-Louis a
semblé confirmer cette pratique.

100. En ce qui concerne l’accès aux droits, l’article L213-2 du CESEDA dispose qu’une
personne déclarée non-admise sur le territoire français bénéficie du « droit d’avertir ou de faire
avertir la personne chez laquelle (elle) a indiqué qu'(elle) devait se rendre, son consulat ou le conseil
de son choix ». De plus, le refus d’entrée doit être notifié par écrit et motivé. La décision et la
notification des droits doivent être communiquées à la personne concernée dans une langue qu’elle
comprend. L’article ajoute qu’une « attention particulière est accordée aux personnes vulnérables,
notamment aux mineurs, accompagnés ou non d’un adulte ». Enfin, en « cas de demande d’asile, la
décision mentionne également son droit d’introduire un recours ».


D’après les responsables locaux de la PAF à Menton, la procédure en vigueur prévoyait que
ces informations soient communiquées lors des auditions des intéressés au poste frontière. La
délégation n’a cependant pas pu observer d’entretiens dans ces locaux le jour de la visite et les
policiers de service au guichet du poste frontière ont indiqué que l’examen de la situation des
personnes, tout comme la notification de la décision et des droits, étaient effectués en amont, avant
l’acheminement des intéressés au poste. En effet, la délégation a observé du personnel des
Compagnies républicaines de sécurité (CRS) effectuant les interpellations en gare de Menton-
Garavan (premier arrêt des trains en provenance de l’Italie). Les personnes interpelées étaient
menées au premier étage de la gare où les mêmes membres des CRS remplissaient – au moins
partiellement – les formulaires de refus d’entrée mis à leur disposition, sur base des informations
fournies par les personnes étrangères. Selon les agents rencontrés en gare, ils faisaient leur possible
pour se faire comprendre ; toutefois, au moment de la visite de la délégation, un ressortissant syrien
se trouvait à l’étage de la gare et aucune communication n’était manifestement possible entre lui et
les fonctionnaires.


Le formulaire de refus d’entrée mentionnait bien le motif de la décision, les droits
mentionnés dans le CESEDA ainsi que les possibilités de recours. En revanche, il n’y figurait
aucune information concernant l’accès à un médecin ou l’assistance d’un interprète. En outre, le formulaire n’existait qu’en français. Le document indiquait la possibilité de faire appel à un service d’interprétation pour la lecture de la décision ; néanmoins, d’après le personnel opérationnel avec lequel la délégation s’est entretenue, il n’y était pas fait recours en pratique. En l’absence d’interprétation, il apparaît difficile de concevoir comment pouvait notamment être examinée la vulnérabilité d’une personne ne parlant pas le français, ou encore comment une demande d’asile pouvait être formulée.

Dans de telles conditions, le CPT émet de sérieuses réserves quant à la possibilité des
personnes qui se voient refuser l’entrée sur le territoire de connaître leurs droits et de les exercer. Le
fait qu’aient été relevées sur le registre du poste des durées de passage particulièrement courtes
(quelques minutes parfois50) conforte le Comité dans ses craintes.

A la lumière de ces observations, le CPT recommande aux autorités françaises de prendre toutes les mesures nécessaires – y compris de nature législative le cas échéant – pour garantir que les personnes qui se voient refuser l’entrée sur le territoire français soient effectivement et pleinement informées de l’ensemble de leurs droits, y compris du droit d’accès à un médecin et de bénéficier de l’assistance d’un interprète, dans une langue qu’elles comprennent. Cela devrait être assuré par des renseignements clairs fournis oralement, avec l’assistance d’un interprète si nécessaire, et complétés dès que possible par la remise d’un feuillet énumérant de manière claire et simple les droits des personnes concernées. Ce feuillet devrait être disponible dans un éventail approprié de langues.


Cas particulier des personnes non admises à la frontière franco-italienne Council of Europe CPT Detention Data European Union France Immigration detention